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Modalité, Bretagne, musiques

Jusque dans les années cinquante, la musique populaire bretonne, essentiellement monodique, n’avait eu que peu de rapports avec l’harmonie classique occidentale. Dans un premier temps, le choix du tempérament égal pour les bombardes et cornemuses des bagadoù puis l’influence du mouvement folk (via la musique irlandaise ou le rock) ont fait de l’orchestration harmonique la norme dans le domaine de la création bretonne. Les réussites certaines issues de ce choix esthétique ne doivent pas faire oublier les origines modales d’une musique populaire toujours pratiquée aujourd’hui sous ses formes locales : kan ha diskan, chant à répondre, gwerzioù et « chant de haute voix » (a capella), sonneurs de treujenn-gaol, sonneurs de couple (bombarde-biniou),…

Dans « La musique de l’Inde du nord », Alain Danielou soulignait un problème de fond : « Les tentatives récentes faites dans l’Inde comme dans les pays du Moyen-Orient pour créer des orchestres en adaptant aux formes modales des éléments de contre-point et de polyphonie sont basées sur une méconnaissance de ce qui fait la valeur unique de la musique modale comme moyen d’expression. » Ce problème concernant l’orchestration de la musique modale orientale se pose de façon identique face à la musique bretonne.

Sans vouloir rejeter la créativité due à l’apport de l’entendement harmonique en Bretagne, il nous paraît nécessaire aujourd’hui de construire une musique d’ensemble utilisant les systèmes musicaux fondateurs de notre musique.

En 1985, Thierry "Titi" ROBIN et Erik MARCHAND entamaient une analyse du tempérament en musique traditionnelle*. Cette étude, qui reste à éditer, met en évidence des échelles spécifiques au répertoire breton et utilisant notamment des écarts de trois-quarts de tons. Les analyses furent faites avec du matériel personnel mais aussi avec l’aide du CNET (Lannion) et de l’IRCAM (Paris).

Ils résumaient ainsi leur projet : « La motivation qui sous-tend notre démarche provient de la certitude que les tempéraments (armature de l’édifice musical) propres à un répertoire contiennent en eux-mêmes une part essentielle – au sens propre du terme- du message musical, de sa force expressive et de sa spécificité. Inventorier ce « vocabulaire » de base ne peut qu’enrichir le chant de l’interprète, du compositeur et du pédagogue. Le pari est le suivant : permettre une évolution formelle de l’interprétation ou du répertoire qui trouve dans ses propres racines les lois et les forces lui permettant d’avancer. »

D’une manière pratique, deux albums rendent compte de leur création musicale à partir de ce travail de recherche qui reçut le soutien de Dastum, de l’UPCP, de l’AMTA et des aides financières du Conseil Régional de Bretagne et du Ministère de la Culture :

Erik MARCHAND, Thierry ROBIN :« An heñchoù treuz » (Ocora,1990)
Trio Erik MARCHAND :« An Tri Breur » (Silex-Auvidis, 1991)

Dans l’album KAN (BMG, 2000), Erik MARCHAND met en évidence les modes communs aux monodies bretonne, galicienne ou malienne et à la polyphonie albanaise (dans une moindre mesure à la polyphonie sarde). Ces expressions vocales utilisent des éléments du tempérament inégal.

L’intérêt grandissant pour les musiques du monde a permis de présenter au public européen des orchestres de musique populaire incluant de nombreux participants, chanteurs ou instrumentistes, et une instrumentation variée. Nous citerons par exemple Nusrat Fateh Ali Khan, Alem Kasimov, le Tarab de Zanzibar et tous les orchestres de nouba d’Afrique du Nord ou de musique arabo-andalouse, et auparavant Oum Kalthoum.

Il nous semble aujourd’hui nécessaire et passionnant de construire un grand orchestre breton renouant avec la tradition modale de notre région. Cette création visant aussi à donner aux jeunes musiciens bretons une culture musicale souvent oubliée par l’enseignement institutionnel et associatif.

Dans la suite des premières promotions, il nous paraît indispensable que des membres de la Kreizh Breizh Akademi puissent devenir formateurs dans le domaine de la modalité et des autres spécificités encore de la musique populaire bretonne. Certains de ces formateurs pourront prétendre prendre en charge la direction des orchestres à venir.

D’autre part, il nous semble intéressant de pouvoir ouvrir cette orientation particulière de la musique bretonne à des élèves ou des professionnels souhaitant travailler sur la musique modale. Ainsi le concept d’académie et la pérennité de ce travail inédit seront assurés.

Texte de Erik Marchand.

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Remerciement photos : Eric Legret
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